Description du programme de recherche
Le saumon de l’Atlantique Salmo salar est une espèce migratrice emblématique représentant une exceptionnelle richesse écologique et économique. Il symbolise le retour de la qualité environnementale sur les cours d’eau. L’interdiction des captures sur les zones d’engraissement en mer (Accords Nord-Atlantique) a permis la restauration de nombreuses de populations en Europe et au Canada. La situation critique que connaît la France (quelques dizaines de tonnes de production naturelle par an face à des milliers il y a deux siècles) a déclenché des réactions et des actions de soutien des stocks et de repeuplement depuis une trentaine d’années avec certains succès (Dumas et Prouzet, 1994) pour des petits cours d’eau de faible longueur (Bretagne, Pyrénées…).
Par ailleurs, il restait une population exceptionnelle dans sa capacité à coloniser des zones de frayères et de grossissement situées très loin des rivages marins : celle de l’axe Loire-Allier. Ces animaux sont capables d’effectuer une migration en eau douce pouvant avoisiner 1000 kilomètres. Des actions ont été entreprises pour permettre la restauration de ces « grands saumons de Loire» ces dernières années : fermeture de la pêche sur le bassin de la Loire, construction de dispositifs assurant la libre circulation, destruction de barrages interdisant la remontée et l’accès aux frayères…
En 1994, le Ministère de l’Environnement met en place le projet « Plan Loire Grandeur Nature » qui prévoit notamment le financement de la plus grande salmoniculture de repeuplement d’Europe. La maîtrise d’ouvrage de cette salmoniculture est alors confiée au Syndicat Mixte d’Aménagement du Haut-Allier (SMAT). le 10 juillet 2001, la Salmoniculture du Haut Allier, située à Chanteuges en Haute-Loire, est inaugurée. Son objectif prioritaire, grce à la production de 200 000 smolts annuels, est de recoloniser l’ensemble du bassin Allier, et des axes Vienne-Creuse-Gartempe et Loire-Arroux, en saumon de souche Allier, et d’assurer la conservation de ce poisson. Le repeuplement est un des moyens très fréquemment utilisés pour restaurer une population de salmonidés avec pour objectif la conservation de la variabilité génétique et phénotypique (Youngson et Verspoor, 1999) et d’obtenir une population autosuffisante. Cette pratique consistant à introduire ou à soutenir les effectifs d’une population grâce à des sujets produits en pisciculture présente toutefois de nombreuses limites techniques et financières (Aprahamian et al., 2003) ainsi que de nombreux risques, notamment génétiques, sur les populations résidentes. De plus, dans le cas des très longues rivières comme la Loire, le succès des repeuplements dépend totalement de la capacité physiologique des smolts à effectuer la très longue migration de dévalaison et à s’adapter au milieu marin.
Diverses revues sur la smoltification, véritable métamorphose de préadaptation à la vie océanique, sont disponibles : Hoar (1976), McCormick et Saunders (1987), Boeuf (1993), McCormick (1998). Parmi les mécanismes mis en jeu lors de cette transformation, et nécessaires au passage en mer, l’osmorégulation est assurée pour partie grâce à l’activité excrétrice d’ions par les branchies. Ainsi la (Na+K+)-ATPase a été identifiée comme déterminante (Boeuf, 1993 ; Marshall, 1995). Toutefois, malgré la mise en place des mécanismes pré-adaptatifs aux nouvelles conditions, la « fenêtre physiologique » durant laquelle le smolt pourra s’adapter serait une période limitée de quelques semaines dans sa vie (Berglund et al. 1992 ; Boeuf, 1993). Dans le cas spécifique de la Loire, l’arrivée tardive des smolts en zone estuarienne peut entraîner des mortalités massives résultant, d’une part de la perte de la capacité d’adaptation à l’eau salée (« fenêtre physiologique ») et d’autre part, de l’arrivée en zone estuarienne dans des conditions environnementales (« fenêtre écologique ») défavorables (température, oxygénation…). La survie des smolts et le succès du repeuplement dépendent ainsi de l’adéquation entre les deux fenêtres.
L’étude proposée ici fournira une caractérisation physiologique du déroulement et de la qualité de la smoltification, à partir des juvéniles issus de la production de la pisciculture. L’étude génétique apportera des éléments sur les caractéristiques et la préservation du patrimoine génétique de la souche Allier dans le Bassin de la Loire. Les approches physiologiques, analytiques et expérimentales, aborderont les rôles des facteurs internes et environnementaux dans le contrôle de la smoltification, le déclenchement et la synchronisation de la migration
L’objectif du présent projet est donc de préciser les conditions de dévalaison des smolts, de vérifier leur adéquation avec l’état du milieu, et d’envisager des modifications dans les modalités d’élevage, de libération et de repeuplement, afin de mieux synchroniser fenêtres écologique et physiologique. Ainsi, une meilleure connaissance des mécanismes physiologiques et comportementaux doit permettre d’améliorer les résultats des programmes de restauration en favorisant les stratégies de repeuplement les plus adaptées aux caractéristiques de la souche utilisée et aux conditions environnementales rencontrées avant et pendant la migration.